jeudi 29 mai 2008

La dure réalité des siphonneurs au XXIème siècle


Apparue dès les premiers balbutiements de l'automobile, la confrèrerie des siphonneurs a traversé les âges en s'adaptant toujours aux dernières technologies afin de faire perdurer un savoir-faire unique qui se transmet de père en fils.

Malgré toutes les crises, tous les chocs pétroliers et toutes les guerres au moyen-orient, cette caste organisée en société secrète à l'ampleur internationale a su se déjouer de tous les pièges qui lui étaient tendus.

Pourtant il est légitime de penser que la crise actuelle que traverse l'humanité pourrait sonner le glas d'une activité plus répandue qu'on ne le croit.

En effet différents facteurs obligent les siphonneurs a redoubler d'ingéniosité pour pouvoir subsister et ils sont nombreux aujourd'hui à s'interroger sur leur avenir. On constate d'ailleurs une baisse sensible des effectifs ce qui ne manque pas d'inquiéter Côme Enva Thuillot De Poël délégué régional parisien de la guilde des siphonneurs.


Arrivé de Belgique en 1901, Aristide Thuilot de Poël, arrière grand-père de Côme Enva, commence à travailler pour les fraîchement ouvertes usines Renault situées à Boulogne-Billancourt. Très vite il comprend que la vraie limite à l'essor du marché automobile Français est le prix du carburant et c'est avec 2 de ses collègues des chaînes de montage qu'il décide de fonder en 1904 la guilde Parisienne des siphonneurs (G.P.S).

"A cause de son accent Bruxellois prononcé, les débuts de la guilde furent assez difficiles. Malgré tout mon arrière grand-père, que Dieu le bénisse, garda la foi dans la mission qu'il s'était assigné et conquit petit à petit un marché sans cesse grandissant." nous raconte Côme Enva. En effet, le véritable essor industriel ne survint qu'au sortir de la 1ère guerre mondiale et ce n'est qu'en février 1920 que la guilde Parisienne siphonna son 100.000ème litre d'essence.

"A ce moment là, la guilde Parisienne comptait plus de 500 siphonneurs qualifiés et mon propre père organisa la fédération Française des siphonneurs (F.F.S) réunissant l'ensemble des guildes disséminées sur le territoire Français. Cette fédération permit à la profession d'avoir des représentants auprès des élus et put faire un lobbying actif et osa même proposer aux députés un véritable diplôme de siphonneur ! C'était la belle époque."

A l'évocation de ce souvenir, Côme Enva Thuillot De Poël essuya une larme difficilement dissimulée. Mais comment en vouloir à cet homme qui voua son existence au développement de sa profession et qui voit son avenir et surtout celui de son fils s'assombrir

"Aujourd'hui et alors qu'on nous avait promis une stabilisation du prix des carburants, il devient très difficile d'assurer un avenir dans la profession aux jeunes qui entrent sur le marché du travail. Pour ma part j'ai commencé ce métier à 14 ans et je peux vous dire que je pompais sévère mais que voulez vous que j'apprenne à mon fils (âgé de 18 ans ndlr.) ? Avec un baril de pétrole à plus de 100$ et des prix à la pompe avoisinant les 1 € 50 les réservoirs sont vides et nous n'avons plus de quoi siphonner et mon fils qui a fait son apprentissage en siphonnant les scooters de ses petits copains n'a pas encore suffisamment d'expérience pour arriver à pomper les quelques litres qui stagnent au fond du réservoir d'un 4X4."

Car le problème est là, le prix du carburant impacte directement la profession de siphonneur. Contrairement à, ce qu'on serait tenté de croire, l'évolution du prix du pétrole ne favorise pas tant que ça les siphonneurs et la crise actuelle risquerait bien de faire disparaître une profession qui a pourtant fait les beaux jours de l'automobile moderne.

De fait il existe un "tarif limite inférieure" ainsi qu'un "tarif limite supérieure", dès que le prix du carburant sort de ces limites, la profession est en danger ; si le carburant est trop bon marché, la clientèle du siphonneur se tourne vers les stations services, si le prix est trop élevé les réservoirs sont vides et la profession ne peut plus subsister.

"Nous vivons certainement les derniers moments d'une époque unique et comme les marins pécheurs récemment, nous entamerons un mouvement de protestation d'ampleur internationale si la situation ne retrouve pas un point d'équilibre où chacun retrouve ces petits."

Ces mots Côme Enva Thuillot De Poël les prononcent avec amertume et regrette bien d'être obligé d'en arriver à de telles extrèmes.

"Concrètement, nous réclamons une baisse du prix du carburant à la pompe d'au moins 50 centimes faute de quoi nous manifesterons violament notre mécontentement. D'ailleurs j'encourage les automobilistes à rejoindre notre mouvement car finalement il s'agit de défendre leur pouvoir d'achat. D'ailleurs notre guilde propose à tous les automobilistes de bloquer les principales voies d'accès en abandonnant sur le champs leur véhicule là où ils tomberont en panne d'essence."A notre connaissance, le gouvernement Français ne semble pas vouloir négocier avec les représentants de la fédération Française des siphonneurs ce qui laisse présager d'un avenir assez musclé.

Pourtant, un espoir semble encore une fois venir de la nouvelle génération. Le fils de Côme Enva Thuillot De Poël, assez lucide sur l'avenir qui lui est réservé, commence déjà à réfléchir sur les moyens de reconversions de la branche et en cachette de son père nous apporte un témoignage qui laisse rêveur : "Notre métier va disparaître et même si les anciens ont des raisons de pleurer il faut regarder vers l'avenir. Personnellement j'expérimente un nouveau concept basé sur la bicyclette. Au lieu de siphonner des réservoirs, je subtilise les chaînes de vélos et autant mes aïeux étaient siphonneurs qu'il est fort possible que je sois dérailleur. On pourra ainsi dire à juste titre que je suis de la pédale !"

Un bel exemple de courage et de lucidité qui mériterait d'être cité en référence dans les collèges et les lycées de France.